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Necroslayer
25 novembre 2011

Antichrist

Lars von Trier, 2009

 

Ce film a reçu divers qualificatifs de la part de ses spectateurs : thriller, gore, chef d'œuvre, intellectuel, film d'horreur, grotesque, magnifique, violent, ennuyeux, écoeurant... L'opinion de quiconque regardant un film dépend forcément de ses attentes et de ses habitudes cinématographiques. Du point de vue d'un blackeux, peu de ces descriptions sont appropriées. L'habitude de l'extrême nivelle beaucoup de choses et émousse la perception de la provocation.

 

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L'histoire

 

Un couple fait l'amour sur fond de musique classique. Leur enfant en profite pour tomber par la fenêtre parmi les flocons de neige. Les parents sont dévastés, c'est bien normal. L'homme, psychothérapeute trop imbu de ses talents de médecin décide de soigner lui-même la dépression de sa femme. Tout le monde sait que cela ne se fait pas, mais ils se lancent quand même dans l'aventure. Pour corser la thérapie, il décide de s'installer à l'écart du monde avec sa femme potentiellement dérangée, dans un chalet au fin fond d'une forêt. C'est loin. Le trajet est long, on n'y arrive pas en claquant des doigts, ce qui laisse supposer qu'on ne s'en va pas sur un coup de tête non plus.

La femme est partagée entre deux aspects qu'elle n'arrive pas à réconcilier : sa sensualité et sa maternité. Nous comprenons au fur et à mesure que cette incompatibilité perçue entre désir sexuel et élevage d'enfant ne date pas de la mort du bambin.

Elle se perd de plus en plus dans des idées invraisemblables sorties de théories médiévales sur les sorcières, qui lient les femmes à la nature, donc à Satan. Elle devient violente. Elle s'identifie à ces femmes tout en les interprêtant comme intrinsèquement mauvaises. Son époux se met à voir des animaux prophétiques qui lui parlent.

Sa haine pour lui et pour son arrogance se dévoile. S'ensuivent des mutilations sexuelles justifiées par la perception de la sexualité comme la mal à éradiquer.

La thérapie échoue donc complètement : elle est traumatisée au début, en deuil, souffrante, avec ce courant malsain presque invisible qui suggère qu'il y a déjà des perturbations psychologiques. A la fin, c'est une psychopathe enragée égarée dans des élucubrations mystiques malsaines.

 

Le titre

 

Le titre n'est hélas pas à prendre au premier degré. Toi qui pensais voir des rituels orgiaques autour de pentagrammes enflammés, tu seras déçu. Le film est totalement dépourvu de messes sataniques, malgrè ce que laissait supposer la fabuleuse phrase "La nature est l'église de Satan". Bon, il y a de la nature, avec un peu de brouillard. Pas de nombre de la bête mais des bestioles mystérieuses. Pas de fils de Satan à l'horizon.

 

 

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Pour l'exercice, considérons brièvement quelques unes de ces opinions.

 

Thriller ou film d'horreur

Le scénario est sans surprise, il y a peu de suspense.

Après un drame familial, les protagonistes s'isolent à l'écart du monde, aussi seuls que possible, dans une cabane dans les bois, et l'affaire tourne mal. La violence empire au cours du temps. L'un des personnages devient un psychopathe avec une fascination pour les objets coupants et torture l'autre. Meurtre final. Selon les codes du thriller, la progression est évidente.

 

Gore

Le film est pourvu de quelques scènes un peu violentes. Tout cela manque néanmoins cruellement de sang qui coule. Concentrons-nous sur l'amusante scène de la greffe de meule sur la jambe du gars. C'est un bon exemple du traitement pseudo-gore de la violence dans le film.

Pour commencer, lors de l'opération, il y a bien trop peu de liquides corporels. La mèche à bois à manivelle est cependant une idée originale. Saluons une certaine créativité dans l'usage des outils traditionnels de la menuiserie.

Comme dans un vrai film gore, le héros met beaucoup de temps à trouver la pince, et je dis bien LA pince capable de dévisser l'écrou qui retient la meule dans son molet. Cette pince est certainement unique dans cet anciens atelier dans lequel pourtant il semble possible de trouver toutes sortes d'outils pour passer un bon moment entre amis.

Cependant, n'importe quel amateur de film de zombies - ou n'importe qui s'étant déjà coincé une boucle d'oreille dans les cheveux - sait que si l'on tente de se déplacer, voire de courir, avec un lourd poids en pierre enraciné à travers le molet, le muscle se déchire, il y a du sang partout, des bouts de peau et une incapacitation générale à cavaler sur les sentiers bucoliques.

 

Intellectuel et ennuyeux

Il y a certaines longueurs. La cohérence apparaît néanmoins à la réflexion. L'aspect criticable n'est pas l'intellectualisme, c'est la prétention qui l'accompagne. Le parti-pris mystique de la deuxième partie est plus gênant que l'exposition du sujet psychologique du début.

 

Chef d'œuvre

Un chef d'œuvre du cinéma peut recéler bien des niveaux de compréhension. Il peut, comme Antichrist, révéler plus de richesse à l'analyse que lors du premier visionnage. Mais un chef d'œuvre reste appréhendable à un premier niveau par tout le monde. Son sens est perceptible, pas seulement son esthétique. C'est ce qui en fait la magie : que quelque chose de complexe et subtil puisse être si beau et accessible. Ce n'est pas le cas d'Antichrist : malgré une beauté formelle indéniable, il faut pour la plupart des gens réfléchir et analyser longuement pour cerner le sens du film.

J'ai lu un nombre incroyable de remarques de spectateurs qui disaient qu'ils avaient aimé mais n'avaient rien compris.

Il est vrai qu'il y a confusion (d'ailleurs, "le chaos règne"). Une analyse assez poussée après coup permet de prendre ses repères et de trouver la cohérence. Or un grand film se comprend intuitivement si tout n'est pas explicite. La nécessité, pour une majorité de spectateurs, de lire les explications trouvées par quelqu'un d'autre pour y comprendre quelque chose ne veut pas dire que les spectateurs sont idiot ou incultes. Cela suggère que le film se veut hermétique. Les concepts qui le sous-tendent n'étant pas tellement complexes, l'accusation de prétension et d'arrogance intellectuelle se trouve justifiée.

 

Magnifique

Les images sont superbes. Les acteurs, Willem Dafoe et Charlotte Gainsbourg sont excellents. Elle est magnifique. Lars von Trier sait filmer la nature et l'angoisse.

Cela ne veut pas dire que j'aie aveuglément apprécié ce film à cause de ses indéniables qualités. Elles ne suffisent pas à faire oublier le symbolisme caricatural et les teribles séquences nanardes.

 

Ecoeurant

Je dirais plutôt que l'on reste sur sa faim.

 

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Musique

La bonne musique est le parent pauvre de la plupart des films.

Ici, nous avons un joli morceau de Haendel au début. J'ai oublié le reste de la musique, il n'y a pas de metal pourtant l'ambiance s'y prêterait.

Le renard parle en voix gutturale, c'est sympathique et complètement décalé.

 

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Pour le metalleux, le film présente divers intérêts :

- les paysages beaux comme une pochette de doom metal ;

- la folie, la violence, l'absurdité et la spirale incontrolable vers la tragédie ;

- l'absence de limites face au ridicule (cf chapitre suivant) ;

- le délire sur le mal et l'influence de Satan, les allusions aux sorcières.

 

L'impossibilité pour l'héroïne de concilier sa féminité et sa maternité n'intéresseront sans doute pas le metalleux, qui ne voit pas où est le problème. Le doomeux peut s'intéresser à un tourment intérieur qui mène à la folie. Le blackeux peut apprécier les diverses formes de cruauté créative par laquelle ce tourment se manifeste, tant qu'on ne le bassine pas avec la cause (sensualité vs. maternité). Les animaux symboliques sont aussi des éléments classiques pas déplaisants dans cette optique.

La forêt brumeuse est fort belle, à nouveau les blackeux s'y sentiront chez eux malgré l'absence de neige.

La scène finale est graphiquement très belle, les fantômes sont épurés, les mouvements sont lents. On dirait un clip de doom sans la musique.

 

Est-ce la peine de le préciser ? Les éléments métalliquement plaisants ne font pas d'Antichrist un grand film. Nous aimons ces mêmes éléments dans les clips de nos groupes préférés. Leur exagération est bienvenue dans ce dernier cas car elle exalte une musique extrême. L'absence de concession est un autre point commun. Mais le refus de considérer que des spectateurs trouvent le résultat ridicule fait la grandeur des clips d'Immortal alors que cette prétention rend le film de Lars von Trier parfois grotesque.

 

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Les scènes nanardes

 

Antichrist n'est pas à proprement parler un nanar : il est maîtrisé, bien tourné, cohérent, les images sont belles et les acteurs superbes. Cependant au détour d'un sentier, un séquence vous prend parfois au dépourvu...

L'une des caractéristiques fondamentale d'un nanar est de faire rire involontairement. Ce film, sérieux, tragique, réfléchi, est pourvu d'une quantité non négligeable de scènes drôles. Elles sont drôles par leur exagération et par l'aspect grotesque qu'elle acquièrent dans le contexte du film.

 

Le renard

Les animaux qui apparaissent à l'homme sont liés à la mort : renard plus ou moins zombie, biche dans les douleurs de l'enfantement, corbeau très difficile à tuer). Le renard se tourne vers la camera et énonce "Le chaos règne". En voix gutturale.

Clameurs dans le public, rire incontrôlé.

 

"La nature est l'église de Satan".

Charlotte Gainsbourg, devant une fenêtre, prononce cette phrase sans rire. Contrairement à l'amateur de nanar qui n'en croit pas ses oreilles ravies.

 

Le corbeau

Ce corbeau apparaît plusieurs fois à l'homme. Il l'accompagne dans sa fuite avec la meule, il le suit dans le terrier. Et il refuse de mourir alors que l'autre le tape par terre avec acharnement.

Les corbeaux sont des oiseaux sympathiques, ils accompagnent Odin, ils croassent lugubrement dans le ciel d'automne. C'est vraiment méchant de lui faire subir tout cela.

 

Le parcours avec la meule dans la jambe

J'ai déjà évoqué ce passage. L'implantation de la meule de pierre dans le molet du gars se fait après une anesthésie sommaire par tabassage, qui explique qu'il ne se débat pas. La femme fait un usage original d'une vieille mèche à manivelle rouillée qui devrait à tout le moins lui filer le tétanos si le reste échoue. Elle passe un gros boulon dans la jambe, avec la meule d'un côté et visse soigneusement l'écrou de l'autre. Elle visse pour que ça tienne bien. La rouille doit aider à fixer, ainsi que la coagulation.

En gros elle lui pose un sabot pour ne pas qu'il s'en aille.

Ensuite nous enchaînons sur un très grand moment du n'importe quoi. L'homme se réveille, rouspète un peu, cherche vaguement de quoi dévisser l'écrou. On peut supposer que si on est dans un vieil atelier où traîne une mèche à bois, il doit bien y avoir autre chose : un quelconque étau, une pince monseigneur, une clef à molette de n'importe quel diamètre. Pourtant, il n'insiste pas et décide de fuir sa femme en courant dans les bois.

Oui, il cavale sur les sentiers bucoliques avec une grosse meulle en pierre à travers le molet. Comment ça, invraisemblable ? Savoureux.

Enfin, il revient, trouve une pauvre pince et s'enlève son boulet sans inconvénient majeur ni hémorragie massive.

 

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Conclusion

Antichrist n'est certainement pas aussi mauvais que beaucoup l'ont dit : la violence n'y est pas gratuite (sauf envers ce pauvre corbeau) si l'on suit le cheminement du scenario, le film a le mérite de ne pas chercher à être compatible avec les goûts gentillets du grand public. Malgré la présence de psychopathes, d'un meurtrier et d'animaux symboliques, ce n'est pas un film d'horreur, ni un film gore. Il est en général assez peu choquant, à part les scènes de mutilations sexuelles qui font bien mal.

Ce n'est pas non plus un chef d'œuvre, pour les raisons explicitées plus haut et surtout parce qu'il y a beaucoup de séquences involontairement drôles.

La fin est difficile à interprêter, mais il en ressort tout de même que ce type a tué sa femme, s'en sent justifié, et va s'en sortir, certes avec quelques bleus mais c'est tout, après l'avoir amenée à la folie par son arrogance à se croire capable de la soigner. Les fantômes féminins sont ambigus. Peut-être sont-elles les traces des sorcières brûlées, liées pour toujours à la forêt.

Le délire vaguement religieux qui amène la femme à justifier les crimes des brûleurs de sorcières me laisse dubitative. L'échec de l'homme à enrayer ce délire prouve ses insuffisances. Cependant, l'aspect mystique se manifeste chez lui aussi et il semble qu'il finisse par suffisamment adhérer aux idées fumeuses de sa femme pour la tuer.

 

 

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